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Jean-Gérald Castex jette l’encre à Landerneau, à l’occasion de l’exposition « EAncrage », estampes contemporaines.

Exposition à la Galerie de Rohan, Landerneau, du 16 juin au 6 novembre 2022, en partenariat avec le musée du Louvre et l’atelier de chalcographie de la Rmn-GP.
Commissariat : Axelle Marin et Jean-Gérald Castex

Calme et serein, à l’image des lions en bronze qui gardent souverainement la porte de ses bureaux au musée du Louvre, Jean-Gérald Castex défend l’atelier de Chalcographie, « qui demeure l’un des ensembles patrimoniaux les plus méconnus », et s’applique à mettre en valeur l’art de la gravure au musée du Louvre, dont il est le conservateur en charge des matrices gravées, au département des Arts graphiques, et de la collection d’estampes Edmond de Rothschild.

Jean-Gérald Castex © atelier de chalcographie, 2022, Rmn – Grand Palais

« La gravure est un art à part entière. Elle reste encore trop souvent discrète, voire obscure ; le mot chalcographie n’est pas traduit spontanément et l’obtention d’une image imprimée à partir d’une plaque creusée reste souvent un procédé peu connu par le grand public. Au Louvre, nous avons pour mission de rendre ce travail compréhensible de tous, attractif, et, à travers les commandes faites aux artistes, de continuer à écrire l’histoire de cet art. »

Une exposition inédite, hors les murs du musée du Louvre
« EAncrage », exposition d’estampes contemporaines à la Galerie de Rohan à Landerneau, porte la même ambition. La ville s’associe au musée du Louvre et à notre atelier de chalcographie, qui assure historiquement les tirages des plaques de l’institution depuis 1895. Près de 40 estampes originales révèlent les travaux d’une multiplicité d’artistes : de Geneviève Asse et Louise Bourgeois à Éva Jospin et Annette Messager, de Georg Baselitz à JR, en passant par Markus Raetz, Peter Doig et Miguel Barcelo.
« Ces œuvres sortent très rarement du musée. Exposées à Landerneau, elles s’offrent aux regards de tous les promeneurs, qu’ils soient amateurs d’art éclairés ou néophytes. La ville est une place forte de l’art contemporain avec la Galerie de Rohan, ses expositions en plein air et surtout le fonds Hélène et Édouard Leclerc (FHEL), qui accueille le travail de nombreux artistes de renom. Michel-Édouard Leclerc, landernéen, a également fondé une maison d’édition d’estampes à travers laquelle il joue un rôle important dans la diffusion de cet art », précise Jean-Gérald Castex.
Une même ambition chevillée au corps réunit la ville et ses acteurs culturels, le musée du Louvre et l’atelier de chalcographie : éclairer le travail de la gravure et la beauté des œuvres qu’il engendre, valoriser les savoir-faire traditionnels et permettre aux visiteurs d’acquérir une œuvre à un prix abordable.

Forêt de Fontainebleau : le Charlemagne et le Roland © Eugène Bléry

« Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes L’univers est égal à son vaste appétit. »
Charles Baudelaire (Le Voyage)

Si la gravure est reconnue aujourd’hui comme un médium artistique à part entière, elle était, à l’origine, du xve au milieu du xixe siècle, en Europe, un moyen de diffuser des images. Le musée du Louvre, créé à la Révolution, répondait aux missions de garantir le progrès des arts et d’instruire le peuple. L’institution a alors récupéré le fonds des plaques gravées des commandes royales, qui servaient à diffuser l’image du roi, et a institué la Chalcographie, qui est le lieu où sont conservées les plaques à partir desquelles sont produites les estampes. Le Louvre a ensuite enrichi la collection par de nouvelles commandes.

« L’enjeu était de diffuser des images “gravées d’après” des peintures ou des sculptures des collections du musée. Ces estampes ont été commercialisées dans une boutique. Le public pouvait repartir avec un bout du Louvre ! C’était un « art du multiple » alors que la photographie n’existait pas ! C’était le début d’une forme de démocratisation, de partage de la culture. À la fin du xixe siècle, on commercialisait en estampes, à moindre frais, La Joconde et les grands tableaux. L’autre dessein, et non des moindres, était de fabriquer une « iconisation » des œuvres et assurer ainsi leur reconnaissance comme des modèles. Enfin, le prestige de la commande de la Chalcographie légitimait les artistes qui en étaient les bénéficiaires. En marge de ces estampes d’interprétation, se développaient des créations gravées par des artistes expérimentant avec virtuosité les techniques de l’eau-forte, comme Eugène Bléry ou encore Charles-François Daubigny. »

La morsure de la gravure…
Avec la photographie, l’imprimerie et le digital, la gravure ne porte plus aujourd’hui d’enjeu de diffusion des œuvres, mais confirme son statut d’art à part entière, de médium artistique accessible à tous. « Attention, pourtant, à ne pas opposer les estampes originales aux estampes de reproduction. Une œuvre “gravée d’après” un tableau était davantage une interprétation qu’une reproduction. L’artisan graveur est l’égal des peintres, tout à la fois un artiste par son œuvre et un artisan, parce qu’il travaille sur le multiple et applique des savoir-faire artisanaux. »

le Pinceau voyageur, Pierre Alechinsky

Les commandes contemporaines du Louvre continuent d’enrichir la collection grâce aux imprimeurs taille-douciers, qui réalisent les estampes avec des gestes ancestraux et accompagnent les artistes contemporains dans leur processus de gravure. Ces derniers, graveurs médiatiques apprentis ou confirmés, n’ont plus aujourd’hui à reproduire les œuvres du musée du Louvre. Ils décident librement de leur sujet.

Jean-Gérald Castex confie : « Observez Le Pinceau voyageur de Pierre Alechinsky : c’est une figure libre. Elle est déconcertante au premier instant, mais quand on veut bien se perdre dans l’image, on y retrouve son chemin. Un bateau entraîne plusieurs événements et évoque sans doute la longue traversée maritime de l’artiste vers le Japon, l’empire des pinceaux ! »
Et le conservateur de poursuivre avec le même enthousiasme : « Un autre travail remarquable est celui du peintre Jean-Michel Alberola, qui a pris le parti d’interpréter Le Repas des paysans des frères Le Nain, exposé au Louvre. On retrouve le jeune homme, la coiffe de la jeune fille, le regard des personnages, la cruche, le morceau de pain et l’encadrement de la cheminée, mais dans un ordre différent. »
Puis il évoque, avec passion toujours, une dernière œuvre : « Enfin, il y a cette gravure magnétique de Giuseppe Penone, Propagazione, qui représente tout ce que j’aime chez lui : le bois et le végétal. Nous ne sommes pas sur une toile d’araignée mais bien sur les cernes d’un arbre qui rencontrent, au centre, l’empreinte du pouce de l’artiste. Plus qu’une rencontre, c’est l’histoire d’une véritable union entre l’homme et la nature dans un destin commun. »

Propagazione, Giuseppe Penone

De « discrète », la Chalcographie pourrait bientôt passer à « tendance ». De nombreux artistes français et étrangers, souvent médiatiques, s’essaient à la gravure ou s’emparent de ses techniques, avec l’aide de nos imprimeurs taille-douciers, et répondent aux commandes du Louvre. Les estampes commercialisées de l’atelier ne sont ni signées ni numérotées, par principe, afin de maintenir un prix accessible aux amateurs d’art contemporain et de diffuser ce médium. Une œuvre d’Annette Messager, de Rosanna Lefeuvre, d’Éva Jospin, de Kiki Smith, ou encore de JR dans votre salon… Vous en rêviez ?

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